Pourquoi la conduite sous l’emprise de l’alcool reste un problème entier pour la sécurité routière ? Une étude prospective auprès des 20 000 volontaires de la cohorte

Porteur de projet, laboratoire et organisme :

Emmanuel Lagarde, Equipe Avenir Prévention et prise en charge des traumatismes Centre de recherche INSERM U897


Rapport final, projet GAZEL ALCOOL, 20p, 2011


Objectifs initiaux du projet

• Evaluer de manière prospective l’évolution des attitudes et des comportements des conducteurs vis-à vis de la conduite sous l’emprise de l’alcool entre 2001, 2004 et 2007 ;

• Etudier les associations entre les évolutions des facteurs psychosociaux et les changements de comportements relatifs à la conduite sous l’emprise de l’alcool ;

• Identifier les facteurs pouvant favoriser ou entraver une amélioration des comportements et des attitudes ;

• Mettre en relation les évolutions des habitudes relatives à la consommation générale d’alcool avec les évolutions des comportements et des attitudes vis-à-vis de la conduite sous l’emprise de l’alcool ;

• Emettre des recommandations relatives au ciblage de la prévention et du contrôle-sanction en s’appuyant sur les résultats obtenus.

Méthodes appliquées

Etude de cohorte

Résultats majeurs

Entre 2002 et 2007, le nombre de tués sur la route a diminué de 10% par an en moyenne contre 2% entre 1975 et 2001 en France (ONISR/DSCR 2009). Cette baisse accrue de la mortalité routière observée ces cinq dernières années représente des milliers de vies épargnées. Elle est concomitante à l’augmentation des mesures préventives décidée en 2002, qui comprend le déploiement de 1500 radars automatiques, la fi n des indulgences, et l’aggravation des sanctions. Contraints et forcés, les conducteurs ont modifié leurs habitudes. Selon l’Observatoire Interministériel de la Sécurité Routière (ONISR), le nombre des grands excès de vitesses a été divisé par cinq entre 2002 et 2007, et la vitesse moyenne a diminué de 5 à 10 km/h suivant les réseaux (ONISR 2008). Nos travaux au sein de la cohorte GAZEL, rassemblant plus de 14 000 conducteurs expérimentés, montrent une réduction très significative des vitesses maximales pratiquées en ville, sur route et sur autoroute entre 2001 et 2004 (Constant 2009). Et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les conducteurs sont restés très majoritairement favorables à un renforcement du contrôle-sanction de la vitesse et de l’alcool au volant (Constant 2008). La baisse de la mortalité routière observée à la suite de ces mesures a certainement convaincu le grand public de leur utilité et a ainsi favorisé leur observance.

Ces évolutions positives des comportements et des attitudes vis-à-vis de la sécurité routière, couplées à la baisse de consommation d’alcool observée depuis des décennies en France (INSEE 2009), pouvaient laisser espérer un recul substantiel de l’ivresse au volant. Mais rien ne nous permet de dire que ce reculait eu lieu. Entre 2002 et 2006, le nombre de contrôles positifs a ainsi augmenté de 57% (ONISR), et l’alcool au volant est devenu la première cause de collision mortelle avec une surreprésentation des 18-24 ans parmi les victimes.

Dans le cadre de ce projet de recherche soutenu par la FSR, nous avons analysé les déclarations relatives à l’alcool au volant dans la cohorte GAZEL en incluant les données d’une troisième mesure effectuée en 2007, à la suite de celles recueillies en 2001 et 2004. Les résultats montrent que la diminution des excès de vitesse observée entre 2001 et 2004 s’est poursuivie en 2007. Mais, alors que plus d’un conducteur sur cinq rapportait déjà des épisodes d’ivresse au volant en 2001, cette proportion a augmenté de 10% en 2007
(Constant 2009).

Nous avons cherché à savoir pourquoi les efforts de prévention de l’alcool au volant semblent sans effet. La suite du travail conduit dans le cadre du présent projet a consisté à décrire les évolutions des comportements entre 2001 et 2007 et à tenter d’en identifier les ressorts en examinant les caractéristiques des populations concernées (constant 2011).

L’analyse montre que parmi les 9 309 personnes étudiées, 20% déclaraient en 2001 conduire en état d’ivresse (la plupart du temps de façon épisodique). Parmi ces derniers, un quart (462) avaient cessé cette pratique en 2007. Malheureusement, parmi ceux qui étaient sobres au volant en 2001, une même proportion (511) déclaraient une conduite en état d’ivresse en 2007.

L’examen des facteurs associés au passage dans le groupe de ceux qui déclarent prendre le volant alors qu’ils ont trop bu permet de mieux comprendre les motivations des participants : cette évolution est plus souvent le fait des hommes, engagés dans un plus large réseau social (amis et connaissances) mais qui se sont éloignés de leur famille. De plus, la consommation globale d’alcool restait associée à l’alcool au volant et la perception d’une pression répressive accrue diminuait le risque de déclarer une conduite en état d’ivresse.

Perspectives ouvertes par le projet

Les résultats confirment que la répression peut être un outil efficace de lutte contre l’alcool au volant mais que la perception de la pression du contrôle-sanction reste probablement faible. Ils montrent aussi que ce problème reste lié avec la consommation globale d’alcool, laissant penser que les mesures de lutte contre l’alcoolisme ont un impact sur la sécurité routière.
Les résultats mettent aussi le doigt sur l’importance du contexte social dans lequel la consommation d’alcool du conducteur survient. Ils sont l’illustration chiffrée du constat que les bénéfices connus sur la santé du support social, aujourd’hui bien documentés, peuvent avoir une contrepartie en termes de risque routier.

Ainsi, la dimension culturelle et conviviale de l’alcool, combinée au faible pouvoir dissuasif du contrôle sanction rendent la conduite en état d’ivresse particulièrement réfractaire à la prévention.