La sécurité primaire
Les différents appels à projets de la Fondation Sécurité Routière (2007, 2008, 2011, 2012 et enfin 2014) ont très largement couvert les aspects de sécurité primaire, que ce soit par le biais de l’étude des groupes à risque (piétons et deuxroues motorisés notamment), des facteurs de risque (alcool, distraction, etc.), des composants du système de circulation (conducteurs, véhicule, infrastructure) ou par la proposition d’études prospectives sur le diagnostic des risques et les mesures de prévention (nouvelles approches de l’insécurité routière, véhicule du futur, route intelligente, etc.).
En fait, tout ce qui concerne la connaissance de la survenue des accidents et de leur prévention est catégorisable dans la « sécurité primaire ». Par conséquent, la quasi-totalité des projets réalisés grâce à une subvention de la Fondation Sécurité Routière comporte largement une partie « sécurité primaire », à l’exclusion d’une poignée d’entre eux dont l’objet d’investigation est la sécurité secondaire (ou sécurité de protection), comme par exemple les recherches sur les traumatismes du rachis cervical ou sur la sécurité des piétons dans les accidents impliquant une automobile.
Nous avons ainsi fait le choix pour cette synthèse de catégoriser les projets en fonction de certains thèmes privilégiés comme les piétons, l’infrastructure, les deux-roues motorisés et de ne conserver dans la fiche sécurité primaire que ce qui était de l’ordre des facteurs de risque, notamment l’alcool, la distraction et le vieillissement. Les autres projets touchant la sécurité primaire sont classés dans les sous chapitres précédents.
Cinq projets ont eu pour thème d’étude l’alcool, chacun sous une facette du sujet très différente (juridique, technique, évaluation de l’usage, épidémiologique, effet sur l’endormissement) :
Le projet EAD (Ethylotest Anti-Démarrage) avait pour objectif d’analyser les conditions techniques, administratives et juridiques du déploiement des EAD en France ;
Le projet DAR (Détection de l’Alcoolémie par spectroscopie Raman) avait pour but d’étudier une autre manière de détecter l’alcool dans le sang et de mesurer le taux d’alcool, aujourd’hui réalisées par prise de sang ou expiration de l’air, en proposant le recours à une technique optique, la spectroscopie Raman, jugée a priori plus rapide et moins coûteuse que la prise de sang ;
Un troisième projet, ALCOOL_PREVENTION, avait pour objet de recherche les méthodes d’évaluation externe et d’auto-évaluation par les conducteurs de l’usage de l’alcool au volant selon trois volets : la psychométrie et la validité des tests; les conditions d’(auto) évaluation de l’usage de l’alcool pour la réhabilitation des conducteurs infractionnistes inscrits dans les stages de sensibilisation à la sécurité routière; le rôle des EAD dans la modification des comportements sur la route ;
Un quatrième projet, issu de la cohorte GAZEL, avait pour ambition de comprendre pourquoi la conduite sous l’empire d’un état alcoolique demeure toujours aujourd’hui un problème majeur de sécurité routière ;
Enfin, un cinquième projet (ALCOLAC, ALCOol, vigiLAnce et Charge de travail) a eu pour objectif de tester deux hypothèses :
- une charge de travail élevée jusqu’à un certain seuil augmente le niveau de vigilance et favorise les performances de conduite, alors qu’une surcharge de travail pourrait avoir des effets délétères en augmentant fortement la tension et le stress des conducteurs ;
- la consommation d’une faible dose d’alcool en début d’après-midi peut entraîner un assoupissement précoce et ainsi diminuer la performance de conduite.
Nous avons retenu trois autres projets dans cette fiche dédiée à la sécurité primaire
- Le projet PIAAC dont l’objectif est d’estimer la prévalence et l’impact des activités annexes à la conduite sur le risque d’accident.
- Le projet ACT (Assistance au Contrôle de Trajectoire), dont l’objectif était d’examiner l’efficacité et l’acceptabilité d’une alerte signalant un risque de collision et d’un système d’avertissement de sortie de voie.
- Le projet GAZEL_SENIOR, toujours issu de la cohorte GAZEL, qui s’intéresse aux facteurs d’insécurité liés à la santé chez les conducteurs vieillissants.
Les approches méthodologiques dépendent des finalités de chaque projet qui exigent souvent des méthodes disciplinaires pour répondre aux questions posées. Au-delà du fait que chaque projet fait généralement l’objet de revue de la littérature scientifique concernant le sujet abordé ou d’analyse documentaire et de l’existant, chaque projet a sa spécificité méthodologique.
Ainsi, EAD s’est essentiellement appuyé sur des entretiens réalisés avec les acteurs impliqués dans la mise en oeuvre du dispositif (médecins, alcoologues, membres des commissions médicales du permis de conduire, magistrats, etc.).
Le projet DAR a consisté à réaliser des spectroscopies d’échantillons de sang.
Le projet ALCOOL_PREVENTION a eu recours à la constitution de populations en milieu scolaire, de populations « addictives » à l’alcool, de populations ayant suivi les stages de sensibilisation à la sécurité routière, ou de populations ayant participé aux programmes d’EAD, puis à leur passer des questionnaires, des tests, et des entretiens. Des analyses statistiques, lexicographiques et textométriques ont ensuite été réalisées sur les données recueillies.
Les études GAZEL_ALCOOL et GAZEL_ SENIOR ont sans surprise adopté des méthodes épidémiologiques d’analyse de cohorte (plus de 14 000 conducteurs expérimentés). Le projet PIAAC s’est également inscrit dans le cadre d’une étude épidémiologique, mais de type castémoins auprès de patients accidentés recrutés dans les services d’urgence.
Le projet ALCOLAC a mis des sujets jeunes en situation de conduite dans un simulateur avec recueil de données objectives sur la conduite, recueil de données physiologiques de vigilance et de tension et de charge mentale. Des questionnaires d’auto-évaluation de la vigilance ont également été passés auprès des sujets. Enfin le projet ACT a également eu recours à des expérimentations en simulateur de conduite avec recueil de données comportementales (telles que le temps de réaction et le positionnement dans la voie), des données physiologiques et des questionnaires d’acceptabilité et de stress.
Nous ne présentons ici que les résultats les plus marquants ou les plus emblématiques sachant que chaque recherche a abouti à de plus grands nombres de résultats.
EAD, même si l’expérience de Haute-Savoie est considérée comme encourageante, la démonstration de l’efficacité, sur la durée, de tels programmes sur la récidive reste à démontrer. Par ailleurs l’EAD reste coûteux et ses modalités d’application (proposition ou imposition par exemple) et les populations visées (alcolo-dépendants ou primo infractionnistes) restent à identifier dans leurs précisions. Il faudra également repenser l’équilibre entre la réponse technique à un problème social et la responsabilisation des conducteurs. L’EAD n’est pas la réponse unique au besoin de prévention de l’alcoolisme au volant mais peut efficacement y contribuer s’il est mis en place en cohérence avec les autres actions de prévention.
Le projet DAR conclut « qu’il est difficile de tirer des conclusions définitives sur la faisabilité d’une sonde Raman in vivo pour la détection d’alcool dans le sang ». La répétabilité et la reproductivité de cette détection ne sont pas démontrées par le projet.
Le projet ALCOOL_PREVENTION a abouti, sur ses trois volets, à de très nombreux résultats et recommandations desquels nous avons extrait les suivants : une meilleure coordination de la prévention des risques est nécessaire entre le secteur de santé en alcoologie et le secteur sécurité routière ; les stages de sensibilisation à la sécurité routière permettent souvent l’émergence d’une certaine ‘prise de conscience’ ; les conducteurs infractionnistes ‘alcool’ ont souvent une alcoolémie très élevée ; l’efficacité des EAD sur la prévention de la récidive n’est pas démontrée (l’installation du dispositif doit être renforcée par un accompagnement médical et/ ou psychologique).
L’étude GAZEL_ALCOOL sur l’alcool constate que, entre 2002 et 2007, la mortalité routière a considérablement diminué en France (environ 10 % par an en moyenne) et que cette diminution s’explique par des comportements et des attitudes favorables à la sécurité routière (notamment à cause de l’installation des radars de contrôle automatique de la vitesse). Parallèlement, la consommation d’alcool baisse tendanciellement depuis des décennies. Cependant rien ne permet de dire que l’ivresse au volant a diminué puisque, par exemple, alors qu’un conducteur sur cinq rapportait des épisodes d’ivresse au volant en 2001, cette proportion a augmenté de 10 % en 2007.
Le projet PIAAC confirme des résultats bien connus en sécurité routière, notamment le rôle négatif de la consommation d’alcool, de la somnolence et de la consommation de psychotropes sur le risque accidentel. Les activités distractives qui nécessitent de quitter la scène routière des yeux et/ou qui implique la manipulation d’un objet sont également associées à un sur risque. En revanche, écouter de la musique ou converser avec une autre personne, y compris au téléphone, ne présenteraient pas, selon ces études, de sur risque mesurable.
Le projet ALCOLAC montre que, globalement, les performances de conduite se dégradent lorsque la situation se complexifie et sous l’emprise de l’alcool. La charge de travail et la tension objectives sont plus élevées, notamment chez les conducteurs novices.
Par ailleurs, l’alcool semble avoir des effets à des doses plus faibles chez les jeunes conducteurs novices que chez les jeunes conducteurs expérimentés. L’alcool provoque en effet à faible dose un effet psychostimulant, puis avec l’augmentation de la dose un effet sédatif. Il semblerait que les plus expérimentés soient capables de mieux gérer cet effet psychostimulant.
L’étude a permis d’identifier des facteurs permettant de compenser la dégradation des performances par des stratégies de régulation de la conduite, ou au contraire de renforcer cette dégradation, et de comprendre leur interaction. Ainsi, malgré des situations de conduite considérées comme délétères pour les performances, celles-ci sont relativement préservées lorsque les conducteurs sont expérimentés et lorsque leur niveau de vigilance est élevé. L’effet du manque d’expérience pourrait donc se faire particulièrement sentir dans des situations de conduite difficiles mais aussi dans des situations où plusieurs facteurs de risque sont combinés.
Enfin le projet ACT a conclu en l’efficacité des alertes signalant un risque de collision et des dispositifs d’avertissement aux sorties de voie. Les dispositifs d’avertissement de sortie de voie permettent par exemple aux conducteurs de regagner une position plus sûre dans leur voie plus rapidement que lorsqu’ils ne bénéficient pas d’une assistance et les oscillations latérales réalisées par les conducteurs tout au long de la conduite sont réduites en présence d’une assistance. Concernant les alertes anticollision, lorsque les participants étaient distraits par une tâche cognitive, ces alertes permettent d’obtenir des temps de réaction inférieurs.
Les dysfonctionnements des systèmes de sortie de voie entraînent une dégradation de performance circonscrite à la situation où l’assistance a été prise à défaut. Ils entraînent dans le pire des cas des performances similaires à celles enregistrées en l’absence de l’assistance. Concernant les fausses alertes des systèmes d’alerte de collision, il semble que les systèmes sujets aux fausses alertes soient plus facilement acceptables et qu’ils induisent des comportements plus sécuritaires notamment en termes de distances inter-véhiculaires et de vitesse que les systèmes sujets aux nondétections d’évènements critiques. Pour les deux types de systèmes testés, une fiabilité quasiparfaite garantit une meilleure acceptation du système.
Sur les huit projets retenus dans cette fiche, cinq concernent l’alcool, un s’intéresse à la distraction, un autre examine l’efficacité et l’acceptabilité de certaines aides à la conduite et le dernier vise l’étude des facteurs d’insécurité liés à la santé chez les conducteurs vieillissants. La sécurité primaire étant présente dans d’autres projets présentés précédemment, l’alcool, la distraction, les aides à la conduite et le conducteur âgé ne constituent donc pas les seuls thèmes abordés/ financés par la Fondation Sécurité Routière dans ce domaine de la prévention des risques accidentels. Globalement, on peut noter que les recherches sur l’alcool et la conduite sont moins dominantes que par le passé. Les recherches financées par la Fondation Sécurité Routière ont plutôt concerné les modes doux (y compris le piéton âgé) et les deux-roues motorisés. De la même manière, les sujets plutôt à la mode en sécurité routière, aides à la conduite et effet de la distraction sur la conduite, n’ont pas eu beaucoup d’écho dans les projets proposés et/ou retenus par les appels à projets de la Fondation, ces sujets étant couverts par d’autres sources d’appel ou de financement.
Les sujets sur l’alcool confirment ou approfondissent des résultats bien connus (notamment sur l’alcool et les jeunes) et font l’objet de recommandations qui doivent être étudiées de près par les Pouvoirs Publics.
Les résultats sur l’EAD et ses effets sur la récidive sont a priori décevants mais des pistes d’efficacité sont proposées et méritent d’être considérées également avec attention par les Pouvoirs Publics.
Les études d’efficacité des aides à la conduite doivent être encouragées, comme l’a proposé, entre autres, le comité des experts du Conseil National de Sécurité Routière en 2015