A quelles conditions le recours aux éthylotests anti-démarrage (EAD) peut-il être étendu dans le cadre administratif et judiciaire ?

Porteur de projet, laboratoire et organisme :

Arnaud Morange, Centre d’Etude et de Recherche sur les Risques et les Vulnérabilités (CERReV), Université de Caen Basse Normandie


Rapport final, projet EAD, 94 p., 2010.

Rapport intermédiaire, projet EAD, 36 p., 2010.


Objectifs initiaux du projet

Analyser les conditions pratiques, administratives et juridiques de mise en place et d’extension des Ethylotests Anti-démarreur (EAD, ou « Alcolock » pour Alcohol ignition interlock) en France, en privilégiant le point de vue des acteurs locaux impliqués dans les procédures de prévention et de répression de la conduite en état alcoolique.

Méthodes appliquées

Corrélativement à l’analyse documentaire et de l’existant en la matière (études internationales, expérimentation en Savoie), il s’agissait d’un enquête de terrain, principalement par entretiens, auprès des acteurs potentiellement concernés par le dispositif EAD : médecins et acteurs de santé en alcoologie, personnels de préfecture et membres de la commission médicale du permis de conduire, magistrats (Parquet, juges, juges d’application des peines, personnels des services de probation = 12 entretiens réalisés) et, surtout,
conducteurs récidivistes en CEA suivis par le comité de probation = 60 entretiens réalisés). L’échelle retenue pour cette étude était le département du Calvados (14).

Résultats majeurs

Tout séduisant que paraisse le dispositif technique EAD, les investigations que nous avons menées conduisent à une certaine prudence. S’il n’est pas contestable que le programme d’Annecy (expérimentation en Savoie, en 2004) a produit des résultats encourageants, il n’en demeure pas moins vrai qu’il reste à démontrer que l’objectif de prévention de la récidive au moyen des EAD puisse être véritablement atteint sur la durée et en direction du public le plus accidentogène. Le problème du coût : concernant les bénéficiaires de cette alternative à la sanction, sans soutien financier pour une partie d’entre eux, une sélection économique s’opèrerait sans doute qui biaiserait les attendus des acteurs de sécurité routière ; l’EAD risquerait de devenir alors un simple outil de substitution à l’ancien «permis aménagé» (permis blanc) au bénéfice d’une frange particulière de la population. La question du public concerné par ce dispositif reste donc entière et conditionne les choix qui seront faits quant aux modalités et formes des programmes EAD (proposition ou imposition, alcoolo-dépendants ou primo-infractionnistes, action de répression ou outil de prévention auprès des jeunes conducteurs, ...). Les EAD peuvent sans doute apporter un complément technique à l’arsenal juridique dont disposent les juges pour contraindre et réprimer les conducteurs indélicats, mais le problème considérable de la conduite en état alcoolique subsiste. C’est pourquoi d’autres pistes - bien connues des experts en ce domaine - sont revisitées à l’aune des propos recueillis auprès des infractionnistes («taux zéro» pour les malades de l’alcool, éthylomètres en série dans les véhicules, alternatives à la conduite
en cas d’alcoolisation...). Plus largement, l’étude, conduite par un sociologue, invite à s’interroger sur le traitement technique d’un problème social (l’alcoolisation d’une partie de la population et le non respect des normes). Dans une perspective socio-anthropologique, ce sont les équilibres entre les réponses proprement techniciennes - que nous avons tendance à privilégier désormais - et la responsabilisation des conducteurs qui sont à repenser.

L’étude conclut, en substance, que si l’on veut miser positivement sur cet appareillage, les nombreux obstacles à son efficacité doivent faire l’objet d’analyses complémentaires, tant sur le plan juridique et technique que dans leurs dimensions symboliques et sociologiques.

Verrous ou points durs levés

Pour l’étude, pas de difficultés particulières de réalisation tellement notre organisation interne et nos réseaux locaux ont permis de remplir le programme prévu, notamment en matière d’entretiens. Tout au plus avons nous été confrontés à des contraintes de temps ayant nécessité un délai supplémentaire de quelques mois,
négocié de manière constructive avec la FSR.

Pour le contenu du programme lui-même, force a été de constater l’omniprésence de l’expérimentation de Savoie ; notre investigation a permis de mettre un bémol à  l’enthousiasme ambiant des acteurs en sécurité routière autour du dispositif EAD.

Perspectives ouvertes par le projet et verrous subsistants

Nous avons mis en évidence que l’alternative à la sanction que peut constituer le recours à l’EAD (sous main de justice) comporte le risque d’un certain nombre d’effets pervers préjudiciables à la sécurité routière. Par ailleurs, le public concerné par cette alternative à la peine ne recoupe pas nécessairement le public le plus accidentogène en matière de CEA. Aussi, présentant nos résultats aux autorités compétentes, celles-ci ont pu prendre en compte nos réserves à propos dudit dispositif, dans le contexte de l’époque du vote de la loi dite LOPSI 2 prévoyant, entre autres, l’extension en France de la mesure EAD.